À la veille de la réception du Real Madrid en Ligue des champions, l’un des plus grands rendez-vous de son histoire, le LOSC devra faire face à une équipe parfois poussive, souvent victorieuse et toujours animé par un passif majuscule qui fait sa force aujourd’hui. Entretien avec Pablo Gallego, rédacteur en chef de Flashscore et fondateur du Journal du Real.
La dynamique
« La forme de l’équipe monte crescendo. Le Real Madrid a commencé de manière assez compliquée, notamment à l’extérieur. Dans le même temps, le Barça commence fort et a vite pris quelques points d’avance. Malgré tout, comme toujours, le Real de Carlo Ancelotti est une sorte de diesel. J’ai l’impression qu’il y a un plan bien clair avec ce staff. En théorie, si le Real Madrid va au bout partout, on est sur une saison à 72 ou 74 matches. Il va falloir avoir tous les joueurs au top au bon moment. Et quand arrive le bon moment pour le Real Madrid ? À partir du mois de mars. Généralement, ce n’est pas parce que le Real Madrid joue mal en début de saison qu’il va faire une vieille saison.
Depuis que Carlo Ancelotti, le Real Madrid finit toujours bien, donc le fait que ce soit poussif au mois d’août ne m’a pas étonné. Certains joueurs n’étaient pas en forme, comme Vinicius Jr. La dynamique est logique au regard de ce que le Real fait depuis trois ou quatre ans. Tant que le Barça est abordable en championnat, que tu as gagné ton premier match en Ligue des champions, que Mbappé marque et que tu es à deux doigts de gagner au Civitas Metropolitano (1-1), il n’y a pas d’inquiétude. Le Real reste sur trois matches nuls à l’extérieur, mais est aussi invaincu depuis 40 matches en Liga et depuis quasiment un an et demi en Ligue des champions. Il n’y a pas d’inquiétude à avoir. »
Le projet de jeu
« C’est un football toujours autant pragmatique. Sans Mbappé, le Real Madrid est repassé en 4-4-2 losange. Cela fonctionne mieux parce que le Real Madrid avait trouvé un équilibre la saison dernière avec cette tactique-là. Avec Mbappé, on était repassé sur un 4-3-3 voire un 4-2-3-1 avec (Jude) Bellingham ou Arda Guler. Là, avec la blessure de Mbappé, cela oblige Ancelotti à repasser à la compo de la saison passée. On l’a vu contre l’Atlético dimanche : le Real n’a pas fait le match de sa vie, mais c’était un bon match dans l’intensité. C’était bien organisé, chacun savait quel était son rôle.
C’est une équipe très pragmatique qui peut sortir le pire match de l’année mais qui peut marquer parce qu’il y a les individualités qui sont là pour. Le Real n’est pas une équipe qui joue bien au football, on le sait. Mais c’est une équipe méga-dangereuse parce qu’elle a les meilleurs joueurs du monde qui peuvent débloquer n’importe quelle situation. Le danger numéro un du Real, ce sont ses joueurs. Même s’il peut y avoir des phases de jeu collectives intéressantes. Carlo Ancelotti n’est pas le meilleur des tacticiens mais il se repose sur son staff technique, et notamment son fils Davide. »
L’arme principale
« Cela reste Vinicius et Bellingham. Vinicius a très mal commencé, on sentait qu’il avait la tête ailleurs. Depuis quelques matches, il s’est remis la tête à l’endroit. Contre l’Atlético, c’est lui qui débloque la situation. On retrouve le Vinicius de la saison passée : celui qui réussit tous ses dribbles, qui prend des initiatives, qui reste focus dans son match même si on le provoque. Au début de saison, c’était catastrophique : il ratait des contrôles, sortait de son match, insultait les adversaires et l’arbitre. C’est le Vinicius qu’on ne veut pas voir au Real.
Bellingham, encore contre l’Atlético, c’est par lui que passe tout. Je pense qu’il est celui qui va récupérer ce qu’a fait (Toni) Kroos pendant 10 ans. Le cerveau du Real pendant les prochaines années, ce sera lui. Je pense que c’est aussi pour cela qu’Ancelotti est passé en 4-2-3-1, pour lui laisser plus de libertés. Il est revenu de blessure, on sent un Real Madrid avec et sans Bellingham. Ce sont les deux armes principales, et d’autres peuvent le devenir à terme comme Mbappé. »
Le maillon faible
« Sur le début de saison, (Aurélien) Tchouaméni est très clairement le maillon faible du Real. Ce n’est pas une question d’avoir les qualités pour jouer au Real ou non, mais plutôt un problème mental. Quand tu rates des contrôles, quand tu n’oses pas prendre des risques… Pour moi, un joueur en confiance doit faire peur à l’adversaire. Ce qu’il n’ose car il semble avoir un manque de confiance en lui depuis quelque temps. Cela se ressent, notamment sur sa qualité de passe.
Ce n’est ni le Tchouaméni de l’AS Monaco, ni celui de la première année au Real. Je pense que c’est un super joueur. Un super milieu de terrain qui, certes, ne joue pas à son poste car c’est un 8, pas un 6. Avec le double-pivot, on devrait retrouver le Tchouaméni de l’AS Monaco. Mais il rate des choses simples que tu ne peux rater à son niveau. Il faut s’adapter au départ de Kroos et le Real est encore en phase de construction là-dessus. »
Le joueur sous coté
« Pour moi, c’est Dani Carvajal. Et ce depuis des années. Cela fait maintenant dix ans, depuis la “Decima” en 2014, qu’il est le meilleur à son poste. Depuis cette époque, on m’a toujours sorti des noms apparemment meilleurs que Carvajal : Serge Aurier, Reece James, Trent Alexander-Arnold, Kyle Walker… Au final, qui a gagné les trophées ? Dani Carvajal. Qui est le plus solide ? Dani Carvajal. Mais parce que ce n’est pas le latéral le plus technique, le plus offensif… Même au niveau de son attitude, il est agressif mais fait cela dans les règles de l’art, comme un Sergio Ramos. »
Le moment le plus marquant de l’histoire du club en Coupe d’Europe
« Je n’ai pas vu les campagnes des années 50, qui étaient apparemment quelque chose de fou. J’ai vécu 1998, 2000 et 2022. En 1998, le Real Madrid n’avait pas gagné depuis 32 ans et met fin à cette disette et à cette malédiction. Cela relance un truc dans le club. Cette année-là, on tape la Juve de Zidane, Deschamps, Del Piero qui est peut-être la meilleure équipe du monde à cette époque. C’est difficile à dire car, de mon vécu, il y a deux Ligue des champions marquantes, et une spectaculaire. Les deux marquantes, ce sont 1998 et 2014. En 2014, elle vient après avoir attendu douze années sans Ligue des champions et après s’être fait sortir en demi-finale pendant cinq années de manière assez tragique à chaque fois. Ils le font de manière grandiose face au Bayern en demi (5-0 en cumulé), puis cette finale face à l’Atlético avec ce but libérateur de Sergio Ramos et les quatre buts (4-1 a.p.).
Pourquoi le Real gagne tant aujourd’hui ? Car il y a eu ce déclic psychologique, car le Real Madrid avait déjà une équipe pour gagner dans les années 2010. La plus spectaculaire, c’est évidemment 2022. C’est une pure dinguerie. Ce n’est pas plus important que 1998 et 2014. Si 2022 s’est produit, c’est parce qu’il y a eu 2014. La philosophie du Real est de gagner tout court, contrairement où il faut gagner avec le beau jeu. Le Real Madrid est un caméléon : certains ont très bien joué, d’autres très pragmatiques. Le plus important à la fin, c’est de gagner avec l’esprit d’équipe et la lutte jusqu’au dernier moment. 2022, c’est l’illustration de ce qu’est le Real Madrid. C’est inexplicable, irrationnel, c’est l’essence-même du club. »
Le pire souvenir
« Le Bayern des années 2000 a été traumatisant. La Juve de Lippi m’a traumatisée en 2003, comme l’AC Milan de Carlo avec Shevchenko et Inzaghi. Mais le pire, c’est le Bayern de 2012. Je pense qu’on a la meilleure équipe d’Europe, on termine la Liga avec 100 points, on éclate le Barça de Guardiola, c’est une saison historique. Depuis que je suis né, c’est le meilleur Real Madrid que j’ai vu. On fait 100 points en marquant 121 buts et en battant le Barça de Guardiola, qui était la meilleure équipe du monde. C’était une singerie ! Arrive les demi-finales de Ligue des champions. Mourinho avait fermé la boutique à l’Allianz au match aller (2-1 pour le Bayern). Le Real Madrid fait l’entame de match parfaite, marque deux buts en dix minutes avec un doublé de Cristiano et un match incroyable de Di Maria.
Le Real domine, domine, domine, mais ne marque pas le troisième but. Ça ne veut pas rentrer ! Le Bayern reste en vie et marque sur penalty en première mi-temps. Ça va jusqu’en prolongations, le Bayern reste derrière mais le troisième but du Real Madrid n’est jamais tombé. Et le Real perd au penalty après des arrêts de Neuer sur Cristiano et Ronaldo, et un raté de Sergio Ramos. Mais ce match-là est un déclic. Deux ans plus tard, on étrille le Bayern de Guardiola. Je pense que sans cette défaite tragique de 2012, il n’y aurait pas eu 2014. C’est une défaite fondatrice. Mais cette équipe est la meilleure que j’ai vue de mes yeux, elle méritait une Ligue des champions. »
Le rapport de force face au LOSC
« Je m’attends à un match dominé par le Real qui va devoir faire attention aux transitions lilloises car cela peut aller avec (Edon) Zhegrova, Jonathan David… Auront-ils la qualité et le courage pour finaliser leurs actions dans un tel match ? C’est la question. Pour ce genre d’équipes, jouer le Real Madrid peut déjà être une fin en soi. Tu peux te contenter de jouer une telle équipe plutôt que viser la victoire, malheureusement. Mais le LOSC reste une équipe compliquée, même si je préférais celui de Paulo Fonseca. Mais il y a des joueurs qui ont une énorme qualité.
Je pense que Zhegrova a un avenir extraordinaire dans le football européen. Désolé pour les Lillois, mais j’espère pour lui qu’il partira la saison prochaine. Il me rappelle parfois Arjen Robben, même si ce sera difficile d’avoir la même carrière. Alors que Jonathan David est parfois approximatif notamment face au but, même s’il a des qualités. Soit le Real Madrid domine et écrase son adversaire, soit il le laisse vivre et gagne sur un fil. Mais on peut jamais savoir avec ce Real Madrid, qui est capable de tout : qui se serait dit que le Real allait souffrir à ce point contre Stuttgart ? Mais à la fin, cela gagne. C’est ce qui est fou avec ce club. »
Crédits photo : Manu Reino/DeFodi Images/Icon Sport