Formé à l’Amiens SC avant de jouer quatre saisons à l’AC Amiens, Arnaud Binet s’est exilé, depuis trois ans, en Corse avec succès. Récemment prolongé par le club de l’AS Furiani, où il s’apprête à disputer une quatrième saison en National 2, le défenseur central de 29 ans se confie sur cette aventure réussie à bien des égards. Entretien.
Arnaud Binet, que devenez-vous trois ans après votre départ de l’AC Amiens ?
Je suis toujours à l’AS Furiani en National 2. C’est top sur le plan footballistique. Le cadre de vie est incroyable, magnifique. Je n’étais jamais parti de chez moi avant ça, mais l’adaptation fut très facile. J’ai été accueilli par des gens incroyables. Je connaissais notre capitaine, Thibault Valéry, avec qui j’avais joué en réserve à l’Amiens SC pendant un an. Tout s’est fait simplement et naturellement.
Qu’est-ce qui vous a amené à donner un tel tournant à votre carrière et à votre vie ?
Lorsque je pars pour Furiani, ça fait suite aux deux années après le Covid. Initialement, j’avais décidé de ne pas forcément continuer le football. Je n’avais plus envie. Pour pas mal de raisons, j’étais dégoûté du football. Je n’avais pas envie de repartir sur un nouveau projet. Puis, il y a cet appel du coach de Furiani de l’époque (Patrick Videra, aujourd’hui au Mans, NDLR). Il arrive à me convaincre. Je me lance dans le projet en me disant « on verra bien ». Trois ans plus tard, j’y suis encore. Preuve que ça m’a plu. Parfois, ça tient à pas grand-chose. J’ai retrouvé le goût du football, de faire ce qui me plaît le plus dans la vie. Je suis arrivé dans un club familial, avec de l’énergie positive au quotidien. Il n’y a rien de tel pour s’épanouir.
Si je ne me trompe pas, vous étiez seul sur place la première année, loin du cocon familial. Comment avez-vous vécu cet éloignement ?
La première année, je suis tout seul, effectivement. Finalement, quand j’ai décidé de partir pour ce projet, ça me va très bien que ça soit très loin. J’avais aussi des choses à me prouver, en partant loin et seul. Je l’ai pris comme une étape de ma vie, pour me prouver des choses. C’était peut-être le moment de grandir, de me confronter à certaines difficultés. Et très vite, j’ai trouvé une deuxième famille en Corse. C’est aussi ce qui m’a permis de m’épanouir. Grâce à ça, j’ai retrouvé le plaisir de jouer au football.
J’ai vraiment trouvé mon équilibre en Corse. Il y a beaucoup de valeurs et de principes dans lesquels je me retrouve entièrement.
Arnaud Binet
On sent tout le monde pleinement concerné par le projet, sans pour autant se prendre la tête. En plus de ça, on joue à bon niveau, avec des résultats à la clé. Cela donne des émotions incroyables. Puis, la deuxième année, ma femme est venue sur place. Et on vient tout juste de se marier en Corse. On peut dire que tout se passe bien pour moi. J’ai vraiment trouvé mon équilibre en Corse. Il y a beaucoup de valeurs et de principes dans lesquels je me retrouve entièrement.
Et ce sont des choses que vous aviez un peu perdues lors de la fin de votre aventure en Picardie ?
Malheureusement, dans ma vie, je n’ai pas toujours croisé des gens droits. Et ici, si on te dit blanc, c’est blanc. Et ça ne se passera pas autrement. Par contre, des fois, on te dit noir et ça sera noir. Donc, c’est à toi de t’adapter. Mais par contre, c’est toujours franc et ça sera toujours dit en face. C’est vraiment ce côté-là du caractère qui m’a plu. Ce sont des gens très francs, ça peut ne pas te plaire, parce que des fois ce n’est pas dans le positif. Par contre, tu sais à quoi t’attendre. Il n’y a pas de faux-semblant.
Peut-on dire que vous aviez quitté l’AC Amiens, comme d’autres, avec un peu d’amertume?
Je ne dirais pas ça. Je ne cracherai jamais sur l’AC Amiens. La première année, quand j’arrive, on vend un projet et ça se passe comme prévu. On avait une très belle équipe, des joueurs extraordinaires, une ambiance incroyable. Sur les deux années Covid, tu sens que le projet commence à vaciller. On était venus pour remettre le club à sa place, en National 2, mais certaines personnes au sein du club ne donnent pas le sentiment d’être à 100% concernées par cet objectif. C’est pour ça que je prends la décision de partir. Je n’avais plus rien à faire dans ce projet, j’étais en fin de fin de cycle.

Cela me fait mal au coeur de voir où en est l’AC Amiens, mais c’était inévitable.
Arnaud Binet
Des éléments extrasportifs font aussi que j’ai voulu arrêter le football. J’étais un peu dégoûté. Je n’avais plus 18 ans, on ne pouvait plus me balader comme ça. Malgré tout, je ne regrette en rien mon passage à l’AC Amiens. J’ai rencontré des gens extraordinaires comme Landry (Matondo), Kévin Martinez, Micka Despois, etc. Les joueurs étaient là pour l’amour de leur club de quartier. Tout ça a fini par s’éteindre au fil des années, les joueurs sont partis petit à petit, même après mon départ et le club a fini par dégringoler. Cela me fait mal au coeur de voir où en est l’AC Amiens, mais c’était inévitable. Il n’y a pas de hasard dans le football. Quand tu triches, tu te fais punir.
Continuez-vous à suivre un peu ce qui se passe dans le football amiénois ?
Oui, oui. Je regarde toujours ce qui concerne les Portugais, Longueau, Camon ou l’AC Amiens. Je n’oublie pas l’Amiens SC non plus. Déjà, j’ai des amis qui jouent dans chacun de ces clubs. Je regarde les résultats, je prends de temps en temps des nouvelles. Je vois que c’est compliqué, mais ça l’était déjà à mon époque. Azouz (Hamdane) répétait souvent que les clubs du Nord étaient plus armés que nous. On le sent d’année en année. Du côté d’Amiens, il n’y a plus aucun club en National 3. Pour une métropole de cette taille, c’est impossible. Et je ne parle même pas de la réserve d’Amiens qui vient de remonter en National 3. Il faut un autre club dans cette division. C’est dommage parce qu’il y a de quoi faire. Est-ce que la solution est une fusion entre deux clubs pour mutualiser les moyens ? Je ne sais pas. Mais cette situation ne peut pas perdurer.
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L’argument économique est souvent brandit en Picardie pour expliquer le manque de résultats. Comment ça se passe sur cet aspect en Corse ?
En National 2, on fait partie des plus petits budgets de notre groupe. Maintenant, tu lèves d’autres leviers pour avoir des joueurs de ce niveau-là. Le cadre de vie, ça y joue beaucoup. L’aspect travail, l’aspect sérieux, l’aspect progression, qui est super important ici. Il y a des joueurs qui sont venus, qui ont été de passage un an, deux ans, et qui ont progressé. Ils ne gagnaient pas forcément beaucoup d’argent, mais ils ont travaillé plus que les autres et ils ont été récompensés en allant dans des projets plus importants. En plus de cela, on a la contrainte de prendre l’avion un week-end sur deux pour se déplacer. On joue parfois contre des clubs alsaciens. Pendant la période hivernale, on prend l’avion jusqu’à Paris puis on fait six heures de bus. On part donc le vendredi matin très tôt et on rentre le dimanche soir. On a aussi un noyau du vestiaire qui est Corse, on a des cadres. Et tout ça fait une mayonnaise qui prend bien.
Sportivement, l’AS Furiani parvient à se maintenir en National 2 sans vraiment trembler. Comme avez-vous vécu ces trois saisons à cet niveau de la compétition ?
La première année, ils viennent d’être champions de N3, on surfe sur la vague. On fait une très bonne saison de N2 sans être attendus. La deuxième année, on fait encore mieux en loupant de peu la montée. Désormais, je pense que c’est un club qui est beaucoup plus regardé et considéré. Aujourd’hui, j’arrive à vivre du football et j’en vis bien. Maintenant, je commence aussi à vieillir un peu (ndlr : 29 ans). Il faut aussi penser à l’après. Cette saison, on s’est battu avec des budgets comme Fleury, comme Créteil, comme Bourg-en-Bresse la saison dernière. Et quand tu sais les salaires des joueurs, tu hallucines. Aujourd’hui, des joueurs préfèrent aller dans certains clubs de National 2, pas seulement dans notre poule, qu’en National ou en Ligue 2, parce qu’ils gagnent plus d’argent. Cela permet de mesurer le niveau de compétitivité du championnat. Maintenant, si tu as un club qui travaille bien, avec un directeur sportif qui fait de bons coups et un coach compétent, tu peux t’en sortir. On essaie de faire de très bons coups dans de plus petits clubs de N2 ou dans des clubs de N3. J’en suis un peu la preuve, parce que j’ai réussi à tirer mon épingle du jeu alors que je n’avais jamais joué à ce niveau avant mon arrivée. Et c’est ce qui arrive aux trois quarts des joueurs qui sont là aujourd’hui.
Vous avez rapidement évoqué la fin de votre carrière. Comment voyez-vous la suite ?
Ce que j’aime, c’est le football. Je suis un amoureux, un passionné. J’ai pour objectif d’essayer de devenir directeur sportif. Je vais passer les formations, les diplômes. C’est quelque chose qui me plairait. Je ferai peut-être mes gammes à Furiani. C’est vraiment un rôle qui me donne envie. Maintenant, je me vois encore jouer quelques saisons. Le jour où le corps dira stop, je l’écouterai. Parfois, ça peut aussi venir de la tête. Tu prends plus de plaisir, tu as moins d’envie. Tant que je prends du plaisir, que le corps suit, je continuerai. C’est certain.
Rêvez-vous encore d’aller voir un peu plus haut que le National 2, sachant que vous avez longtemps été dans le coup pour la montée cette saison ?
C’est vrai que sans la pénalité (retrait de cinq points, NDLR), on termine quatrième. Cette pénalité nous a fait énormément de mal. Quand on la reçoit, on est à un point du premier. Ce fut très dur à encaisser. D’autant que je ne comprends toujours pas la pénalité. On a un joueur qui arrive d’Evreux et qui a deux noms de famille. Or, sur sa licence à Evreux, il n’avait qu’un seul nom de famille. Quand Furiani fait la licence, ils l’inscrivent avec deux noms de famille, comme indiqué sur sa carte d’identité. La licence est validée par la FFF. Après notre premier match de championnat, Thionville fait appel pour fraude sur la licence, sachant que le club le considérait comme un muté, un joueur libre, car il n’avait pas été trouvé comme l’identité était différente. Pourtant, tout était bon de notre côté. C’est la FFF qui a validé une licence qui n’aurait pas dû être validée.
Pour en revenir à la question, je ne cours pas après le National. Si ça doit arriver, ça arrivera et j’en serais très heureux. Par contre, j’ai vraiment envie de faire monter Furiani en National. Je pense que ça se joue sur des petits détails. Maintenant, tout est atteignable. Quand tu mets tout en oeuvre, et que tu sens que tout le monde est à 100% dans ce projet-là, c’est atteignable. J’ai vraiment pour objectif de monter en National avec ce club. Maintenant, je ne cours pas après le National à tout prix, en me disant qu’il faut que je change de club pour ça. A mon âge, je pense aussi à mon bien-être et, à l’heure actuelle, je n’ai pas envie de partir du club et de la Corse.
Avec du recul, quand vous regardez trois ans en arrière, avez-vous le sentiment d’être revenu de loin ?
Revenir de loin, je ne sais pas. En tout cas, je suis fier de moi d’avoir fait ce choix qui n’était pas facile à l’époque quand je le fais, de partir à 1 000 km de chez moi et de tenter l’aventure dans un niveau où je n’y avais jamais joué. Je suis fier d’avoir eu le courage de le faire.
Que peut-on vous souhaiter pour les trois prochaines années, aussi bien sur le plan sportif que personnel ?
Dans trois ans, si je suis en National avec Furiani, je serai le plus heureux du monde. Je veux simplement continuer à être ici, avec ma femme, à kiffer ce que je fais tous les matins. Continuer à me lever tous les matins pour aller jouer au football, faire ce que j’aime, avoir la santé. Avant ça, j’étais venu une seule fois en Corse dans ma vie. C’était avec la réserve d’Amiens, justement pour jouer avec Furiani. Je me rappelle qu’on avait vécu l’enfer sur le terrain. J’étais rentré et j’avais dit à mes parents que je ne voulais plus y retourner (rires). Maintenant que j’ai goûté à ça, je ne veux plus repartir. Mon président dit toujours que, maintenant, je suis un des leurs.
Tous propos recueillis par Romain PECHON
Crédits photo : Herve Bellenger/Icon Sport