Jordan Lefort : « J’avais besoin de jouer et d’être considéré autrement »

Entretien Le 11 – Actuellement prêté par l’Amiens SC aux Young Boys de Berne, Jordan Lefort n’a pas hésité une seule seconde au moment de franchir les Alpes pour découvrir un nouveau pays et le championnat suisse. Frustré par sa situation en Picardie, le défenseur de 27 ans assure y avoir trouvé un environnement favorable à sa progression. 

Jordan Lefort, comment vivez-vous cette période un peu particulière ?

Je ne vais pas dire bien, parce que c’est toujours mieux d’être dehors et d’avoir une vie normale, mais ici c’est un semi-confinement, j’habite au bord de la forêt, il y a la rivière donc je peux me balader et courir. En Suisse, on n’a pas le droit d’être à plus de cinq personnes donc il y a un peu de monde dehors, mais ça respecte les distances. La police tourne aussi. A part ne pas m’entraîner en groupe, je le vis plutôt bien. On a des séances par visioconférence et après, on va courir tout seul. Ils nous ont livré un vélo pour qu’on puisse en faire à domicile, des élastiques, des bandes, des montres, des cardios. On est vraiment bien équipés.

Le club a bien fait les choses pour vous maintenir en forme…

Au bout de trois jours, ils m’ont posé un vélo ! Au bout de deux semaines, ils ont commencé à faire des visio pour changer du quotidien et des entraînements en solitaire. Ça permet de rester en contact avec tout le monde. Je passe mes journées à lire, à jouer à la console, à apprendre l’allemand. Je prends des cours avec une professeure en visio, grâce au club. C’est une langue obligatoire dans le club. Je trouve ça normal et d’un point de vue personnel, je trouve enrichissant d’apprendre une nouvelle langue. C’est aussi une marque de respect envers mes coéquipiers, le club et les dirigeants.

Au départ, cette situation n’a pas dû être évidente à vivre alors que vous veniez tout juste d’arriver sur place…

Non, mais j’ai eu de la chance parce que j’ai eu un appartement à disposition assez rapidement. Je n’ai fait que trois matches avant que la Suisse ne décide d’arrêter le championnat, mais la santé était en jeu, c’était bien plus important.

Est-ce que, comme la France, la Suisse cherche à reprendre son championnat ?

Comme partout, ça dépendra du virus. Ici, je les sens plus optimistes. Ici, on a arrêté les championnats deux à trois semaines avant la France. Les rassemblements ont été interdits à ce moment-là également. De ce que je comprends et ce que je lis, la Suisse pense faire un déconfinement progressif à la fin du mois d’avril. Je ne sais pas comment ça va se passer, mais ils sont plutôt confiants sur une reprise du championnat.

En tant que sportif, êtes-vous impatient de reprendre ?

J’estime que la santé passe avant tout, bien sûr, mais je vis pour le foot, c’est ma passion, et je n’ai pratiquement que ça en tête. Ce que je veux, c’est rejouer le plus vite possible, même si je sais que c’est compliqué et qu’il faudra se plier aux règles drastiques qu’il y aura. C’est sûr que ça peut être compliqué de reprendre après deux mois d’arrêt, mais si on doit rejouer, on rejouera. Nous ne sommes que des employés. Je comprends ceux qui ne veulent pas et n’ont plus la tête à ça, mais c’est ma vie, et je suis là pour jouer. S’il faut que les choses soient arrêtées, eh bien ce sera comme ça.

Comment se sont passés vos débuts en Suisse avec ces trois matches disputés, avant le confinement ?

Je suis arrivé le mardi et j’ai joué dès le lendemain, contre Sion, et on a gagné 1-0. Je ne pouvais pas rêver mieux comme début. Il y avait 26000 personnes, beaucoup de bruit, on a fait un bon match, donc forcément c’était hyper bien. Ma dernière victoire remontait à pas mal de temps et là j’arrive et on gagne, donc c’est sûr que ça m’a fait du bien au moral. Je suis content des débuts que j’ai effectués, je pense avoir donné satisfaction. C’est dommage que ça se soit arrêté prématurément mais je suis content de mes débuts.

Vous êtes passés d’une équipe qui joue le maintien à une qui joue le titre, deux objectifs totalement différents…

Ce n’est pas la même chose. En Suisse, ça joue énormément au football, même les équipes de bas de tableau. Il y a pas mal de bons jeunes joueurs et j’ai été surpris par le niveau de championnat, malgré ce que l’on peut en dire. C’est un championnat avec beaucoup d’intensité. J’ai eu la chance de jouer contre Sankt Gallen, chez eux, c’était un très gros match, et j’ai rarement eu un match de cette intensité. C’était à guichets fermés, il y avait deux gros tifos, des fumigènes, une ambiance un peu à l’allemande qui était très cool ! Même en Ligue 1 je n’ai pas connu une telle ambiance.

Sans tomber dans les clichés, c’est un football qui semble mieux vous convenir…

C’est sûr que mon choix a été porté là-dessus. Mes qualités c’est plus la relance et la technique. En France, je pense qu’on estime qu’il faut plus de gabarit et de physique pour jouer à mon poste, ce qui n’est pas du tout mon jeu. C’était plutôt bien parce que les Young Boys ont un projet de jeu, et pour moi c’est très bien.

Avez-vous hésité au départ, étant donné qu’en France, le championnat suisse est souvent dévalué ?

Non parce que j’arrive dans un club qui joue le titre. Même si ce n’est « que » la Suisse, jouer un titre c’est incroyable, sachant qu’on peut décrocher des places européennes. Ce n’est pas du tout un recul. Certes la Ligue 1 est un championnat hyper médiatique, on peut rencontrer de grandes équipes et de grands joueurs, mais pour moi, jouer aux Young Boys, c’est une évolution positive en matière de club.

Si on exclut les gros de Ligue 1, peut-on dire que le niveau moyen est assez similaire ?

De ce que j’ai vu, j’estime que oui, mais je ne peux pas trop m’avancer. C’est peut-être un cran en dessous en termes de niveau moyen parce qu’il y a des clubs qui n’ont pas trop d’argent, mais le top 4-5 du championnat avec par exemple Sankt Gallen, les Young Boys ou Bâle, ça peut rivaliser avec de bonnes équipes de Ligue 1.

Il semblerait également qu’il y ait une différence totale dans les atmosphères d’un week-end à l’autre…

Le premier match que je joue, on est à domicile contre Sion, on gagne 1-0 dans une ambiance incroyable avec des supporters au top qui vivent le match comme s’ils jouaient, et le week-end suivant on va à Lugano, petit club à la frontière italienne, et il n’y avait que 3000 spectateurs et ce n’était pas un grand match. Il y a deux ou trois petits clubs qui montrent que la Super League n’est pas un grand championnat, mais quand on joue contre Bâle ou Saint-Gall, ce sont des matches avec une intensité incroyable.

Vous êtes allés dans un club avec qui vous aviez déjà eu quelques contacts l’été dernier…

Ça ne s’était pas fait parce que les clubs n’étaient pas tombés d’accord dans les négociations. Je voulais vraiment y aller pour continuer ma progression. Il y avait déjà eu des contacts, et cet hiver, ils cherchaient encore un défenseur central pour jouer à gauche et amener une qualité de relance. Ils se sont remis en contact avec mon agent pour que je vienne, et j’étais dans une situation à Amiens où je n’avais pas trop ce statut de titulaire donc je n’ai pas hésité. Quand les Young Boys viennent et te disent que tu seras titulaire, tu ne réfléchis pas deux fois, tu y vas. J’y suis et je suis heureux.

L’an dernier, il y avait eu des touches en Ligue 2 ? Est-ce à nouveau le cas cet hiver, on pense notamment à Lorient ?

Il n’y a pas eu plus de contacts que ça. Et surtout, j’estime qu’aller aux Young Boys de Berne est une évolution positive pour ma carrière. Le choix a été vite fait, même si Lorient, ça aurait été très bien. Je voulais découvrir autre chose que la France parce que j’estime qu’à mon poste, on ne cherche pas spécialement mon profil en numéro 1. Je vais avoir 27 ans, j’avais besoin de jouer et d’être considéré autrement.

Parce qu’à Amiens, vous étiez un peu la doublure de luxe, le joueur polyvalent. Vous étiez arrivé au bout de l’histoire ?

Je le pense, oui. Je suis arrivé à Berne et on m’a tout de suite fait comprendre qu’il fallait que j’emmène le groupe, les plus jeunes. Je suis passé d’un statut de jeune du club à être considéré aux Young Boys. C’est très différent.

A Amiens, vous avez évolué à de nombreux postes. Depuis votre arrivée en Suisse, vous n’avez joué que de l’axe. C’est un élément qui a pesé dans la balance ?

Les Young Boys connaissent aussi ma polyvalence, car cet été, si j’y étais allé, c’était en partie pour jouer sur le côté gauche. En janvier, ils avaient besoin d’un défenseur central. Mais ils savent très bien que je peux jouer à gauche, et ils m’ont même vu milieu gauche. Ils connaissent ma polyvalence et c’est un atout pour moi.

On évoque souvent un fossé dans le professionnalisme à l’entraînement entre la France et les pays étrangers. Avez-vous ressenti cela à votre arrivée en Suisse ?

C’est le cas dans tous les clubs, il ne faut pas se mentir. En France, on se dit qu’on est un peu arrivés. Ce que j’ai trouvé aux Young Boys, c’est une intensité que j’avais rarement vécue à l’entraînement, que ce soit à Amiens ou à Quevilly. A chaque entraînement, on est à 150%, un peu à l’allemande. Il y a pas mal de jeunes qui sont à 100% de leur forme, ils veulent montrer qu’ils peuvent jouer. Parfois, je sors de l’entraînement et j’ai l’impression d’avoir fait un match. A Amiens, c’était parfois en dilettante, mais c’est le cas dans d’autres clubs en France. Ce qu’on fait à l’entraînement aux Young Boys, c’est à intensité maximum, personne n’a le droit de revendiquer quoi que ce soit, personne ne se plaint. Ça m’a un peu changé.

Quand on regarde votre parcours, si vous parvenez à jouer une coupe d’Europe avec Berne, vous aurez fait beaucoup de chemin…

Il y a quatre ou cinq en arrière, c’était inespéré. Si à cette époque on m’avait dit que j’allais jouer une coupe d’Europe, j’aurais répondu « arrête de te foutre de moi ». Aujourd’hui, je pense avoir évolué. Je pense avoir fait de bonnes performances quand on était en L2 et ça m’a donné accès à la L1 et j’avais fait de bons matches la première année. Il ne faut pas se leurrer, ce n’est pas à Amiens que je vais jouer la Coupe d’Europe, et en France, pour en jouer une, il faut être à Paris, Lyon, Marseille ou Monaco. Je n’étais pas titulaire indiscutable à Amiens et je ne me suis pas vu plus beau que ce que j’étais. Maintenant que je suis à Berne, je ne me dis pas que c’est inespéré. Je vais profiter de la chance que j’ai. Si j’ai l’occasion de jouer l’Europe avec Berne, j’en profiterai à fond. Mais c’est vrai que si on remonte de quelques années, je ne me disais pas ça.

Tous propos recueillis par Romain PECHON

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