À dix jours de la reprise du championnat et à la sortie du stage en Angleterre de l’Amiens SC, Luka Elsner a accordé une interview exclusive au 11 Amiénois pour faire le bilan de la préparation estivale et ainsi afficher ses ambitions pour l’exercice à venir. Entretien.
Quel bilan tirez-vous du stage en Angleterre ?
Toute la partie en Angleterre était bien, les installations étaient incroyables. Le match a donné des satisfactions et pas mal de confiance. Comme on avait un deuxième match en soixante-douze heures, on n’a pas eu beaucoup d’occasions de s’entraîner, à part pour le groupe de joueurs qui n’a pas eu beaucoup de temps de jeu. Sur le retour, on a ce match sur la route qui n’est jamais idéal, mais le stage en soi s’est bien passé, effectivement.
Qu’avez-vous apprécié dans le contenu de ce match contre Hull City ?
Je pense qu’on a mis l’intensité dont on avait besoin et dont on était capable. Il y a eu une bonne gestion et un bon contrôle du match. J’ai été très content que l’adversaire ne se produise que peu d’occasions, chose que l’on n’avait pas réussi à gérer correctement contre Boulogne et Valenciennes. On a réussi à vraiment limiter les situations offensives de l’adversaire, que ce soit sur nos pertes de balles ou sur des positions où l’on attendait l’adversaire. J’ai trouvé que l’on a été bon dans la gestion du ballon et que l’on n’était pas mis en danger sur le pressing haut de l’adversaire. On a varié les sorties de balles, que ce soit au sol et court ou en mettant dans les airs en utilisant Serhou comme point d’appui. On a fait participer nos latéraux, on est entré beaucoup de fois dans la surface, on a eu des occasions. Et au moment du match où l’adversaire s’est jeté à corps perdu pour essayer de revenir, on a réussi à être très dangereux sur les ballons récupérés. Dans chaque moment et chaque phase de jeu du match, on a pris les bonnes décisions et j’ai trouvé qu’on avait fait un match complet.
C’est clairement le meilleur match de préparation de votre équipe ?
Qualitativement, oui. Après, c’est pratiquement le seul match où on avait les jambes opérationnelles pour le faire. Ça a donné beaucoup de confiance aux joueurs parce qu’ils ont vu que quand ils ont un état de fraîcheur qui le permettait, les choses se passaient plutôt bien.
Ce qui n’était pas le cas contre Metz ?
C’était moins le cas parce qu’on est parti à 7 heures du matin pour un match à 19 heures, la route a été longue en partant d’Angleterre, et du coup on est arrivé sur place avec peu de moyens physiques. Même dans le staff, on sentait qu’on était éreinté de s’être levé assez tôt. Mais c’est bien, parce que dans la difficulté, on a su trouver d’autres ressources et d’autres manières de fonctionner. On a laissé l’adversaire jouer, on a travaillé sur un bloc défensif assez bas, avec quelques moments où l’on a essayé de les gêner. Finalement, quand on fait la somme de la première mi-temps, il ne s’est pas passé grand-chose de négatif de notre côté. On n’a pas donné beaucoup d’occasions, on a su utiliser les deux ou trois semis-situations pour passer devant, et je pense que c’est important d’avoir du répondant quand on est dans la difficulté et dans le dur, que l’on ne joue pas bien, de pouvoir être capable de marquer et prendre des points dans ces situations.
Face à Metz, j’ai été très content de leur réaction au niveau mental, malgré l’incapacité d’être agressif.
Parce que ça va forcément arriver durant la saison…
Certainement, oui ! Peut-être pas autant au niveau de la fatigue, mais il y aura un adversaire qui va prendre en compte le jeu et il faudra apprendre à souffrir. J’ai trouvé que les gars avaient puisé dans leurs limites dans ce registre. Dans une telle situation, ils auraient pu se dire qu’ils ne pouvaient pas et auraient pu laisser tomber, mais ça n’a pas été le cas. J’ai été très content de leur réaction au niveau mental, malgré l’incapacité d’être agressif.
Cela fait désormais un mois que vous travaillez avec ce groupe, êtes-vous satisfait de la manière dont les choses se passent ?
Quand je me pose la question, je me dis qu’on est là où l’on aurait souhaité être, en termes de développement, à ce stade de la préparation. Je ne trouve pas que l’on soit en retard sur nos prévisions. On n’a pas pris énormément d’avance, mais comme le groupe a du répondant, je pense que l’on avance et que l’on progresse bien. Il faut que l’on accepte que ça ne fait quatre semaines que l’on travaille ensemble, et qu’une grosse partie de ce que l’on a fait c’est aussi un développement physique pour être prêt pour la saison, qu’il va falloir encore beaucoup de séances d’entraînement pour que les principes soient bien ancrés et que l’on comprenne bien, qu’on arrive à les répéter et qu’on crée ces automatismes sur des situations de référence de match qui vont se répéter et que l’on doit s’approprier. Ça doit être notre identité de jeu. On évolue vers ça, mais on y est pas encore.
Justement, les joueurs incorporent bien vos idées et votre identité de jeu ?
Je les sens intéressés. On échange souvent par rapport à ça et je pense que pour l’instant, on est phase sur ce que l’on peut faire. Il y a beaucoup de demandes, d’explications et de démonstrations pour dire : « voilà, on essaye de faire ça parce que ça a une certaine efficacité et parce qu’au très haut niveau, ça a été prouvé ». Ça rentre aussi dans le cadre de nos capacités, donc on essaye de trouver le juste milieu.
Ça demande beaucoup de temps, de travail et de pédagogie ?
Je le pense mais c’est un processus nécessaire. Si on ne passe pas par là, c’est très dur d’intégrer tous les principes offensifs, et si tu ne comprends pas ce que tu fais… On ne peut pas vraiment parler d’automatisme dans le football parce que les situations auront tendance à être similaires, mais elles ne se répètent jamais à l’exact. Chose qui, dans le basket ou d’autres sports moins complexes en nombre, pourrait arriver. Dans le football, c’est plus une histoire d’appréciation de la situation. Tu peux te dire que c’est à peu près ça, mais il y a toujours un petit élément qui fait que c’est différent donc on s’adapte, et pour pouvoir s’adapter, il faut comprendre. C’est pour ça que la notion d’explication est importante, parce que si le joueur comprend quel est le sens du truc, quel est le facteur qui va être efficace, il a tendance à mieux s’adapter.
De votre côté, vous vous étiez peut-être fait une idée de la qualité de ce groupe avant votre venue. Celle-ci se confirme-t-elle au fil des semaines ?
Il y a d’abord la confirmation de la qualité mentale et humaine de ce groupe. C’est une équipe qui a du répondant, qui sait garder la tête froide et être capable de résister. Il y a aussi du talent footballistique, une capacité à produire du jeu. Il y a des éléments qui font que l’on n’a aucun doute par rapport à cette capacité-là. Je pense qu’effectivement, c’était en phase avec ce que je connaissais.
il manque toute cette partie de projection quand on récupère très bas. C’est encore à travailler.
Sur les deux premiers matches de préparation, on a pu observer des difficultés pour changer de rythme et une instabilité à la perte du ballon…
Absolument. Sur l’instabilité à la perte de ballon, je nous ai trouvés en évolution vraiment positive par rapport aux deux premiers matches, même contre Metz. On était moins en difficulté sur ces moments-là, à part sur les vingt dernières minutes contre Metz. Je suis toujours d’avis que l’on doit être à même de mettre plus d’intensité sur les moments de récupération et de repartir plus vite vers l’avant parce qu’on en est capable, et il faut que l’on arrive à être beaucoup plus dangereux. Contre Hull City, les moments où l’on a fait la différence c’est quand on a réussi à renverser le jeu et dans des situations un peu plus posées. Là où l’on a évolué, c’est que quand on fait un pressing haut et que l’on récupère, on va tout de suite vers le but. Maintenant, il manque encore toute cette partie de projection quand on récupère très bas. C’est encore à travailler.
Comment faire pour améliorer ça ? Quels sont les facteurs pour progresser ?
Il faut du temps, parce que ce sont des situations que l’on doit répéter à l’entraînement, mais l’idée principale c’est que le premier ballon ressorte vite vers l’avant, même en prenant des risques parce qu’on a tendance à le garder sous contrôle dès que l’on a récupéré pour ne pas le reperdre. Le problème, quand on fait ça, c’est qu’on a tendance à jouer latéral ou vers l’arrière, et on s’enlève la possibilité de repartir vite vers l’avant. Cette première passe depuis la zone où on récupère est importante. Derrière, il ne faut pas attendre que la situation se développe. Les joueurs qui ne sont pas directement au contact du ballon doivent faire les efforts nécessaires pour donner des opportunités à l’occasion d’être fluide vers l’avant. On n’a pas encore complètement saisi le sens de ce truc-là.
C’est psychologique aussi pour cette première passe ? Il faut accepter de prendre un risque et ne pas toujours céder à la solution la plus sécuritaire ?
Oui, il y a une notion de prise de risque à ce moment-là parce que c’est penser au gain potentiel dans cette situation. Si le gain potentiel est important, ce qui est le cas quand on récupère le ballon bas et qu’on arrive à sortir le ballon vers l’avant, il y a une situation intéressante qui peut se développer. À ce moment là, c’est intéressant de prendre le risque de la perdre et donc d’aller rechercher ce qui se passe devant. Effectivement, pour moi, il y a cette notion. On n’est pas à un moment où il faut en garder sous le pied parce que, que l’on le veuille ou non, le football moderne c’est sur les transitions offensives et défensives que ça se joue beaucoup. Il faut absolument que l’on puisse avoir une meilleure utilisation de ces moments.
Même si les entraîneurs n’aiment pas forcément raisonner en termes de schéma, on a le sentiment que vous allez démarrer la saison avec un 4-3-3…
On a mis ça en place contre Hull City et une partie du match contre Metz, mais on a aussi terminé en 4-2-3-1 en Angleterre et en 4-4-2 contre Metz. On a travaillé sur les trois systèmes cités. J’ai trouvé que l’on était assez stable défensivement dans ce 4-3-3 et que l’on avait de bonnes opportunités d’avancer quand on avait le ballon mais rien n’est immuable. Ça va aussi dépendre des potentielles arrivées pour voir ce qui nous correspond le mieux. Ce qui est important, c’est que les joueurs aient assimilé les manières de fonctionner, qu’ils aient les idées claires par rapport à ce que l’on doit faire, surtout dans le bloc défensif et après on choisit selon les matches, selon la situation. C’est important que l’on ait une capacité d’adaptation d’un système à l’autre.
Je ne suis pas naïf, personne ne l’est, et si on ne gagne pas les duels, on ne prendra pas de point.
Mais toujours avec une base à quatre défenseurs ?
Pour l’instant, oui, mais ça peut évoluer aussi. Je pense qu’il y a un aspect culturel dans le club et dans le football français à y aller progressivement avec une notion de jeu à trois derrière. C’est un système qui pourrait correspondre à nos qualités, mais on y va pas à pas, sans mettre trop d’informations. Si on commence à travailler sur ce système aujourd’hui, ça va faire trop de choses d’un coup.
Justement, le championnat de France est souvent décrit comme physique et défensif. Êtes-vous en accord avec cette description ? Pensez-vous pouvoir adopter un style offensif et plutôt joueur dans ce championnat ?
Je pense que dans tout championnat, il y a une dimension physique et athlétique qui est prépondérante. Si on ne passe pas cette barrière-là, derrière on ne peut pas parler de football, de tactique ou d’identité de jeu parce que si on se fait marcher dessus dans les duels, on peut mettre tout ce que l’on veut en place à l’entraînement, il n’y a rien qui ressort. Pour moi, il y a une dimension athlétique qui est importante et qu’il faut que l’on maîtrise. Ce groupe a une vraie expérience de ce genre de combat et comprend parfaitement que c’est nécessaire. En France, ça a une certaine importance de par les profils qui y jouent, mais c’est le cas dans dans d’autres championnats aussi. Dans tout sport, l’effort physique et défensif et l’impact au contact c’est quelque chose de très important. On ne peut pas jouer sans ça. Je ne suis pas naïf, personne ne l’est, et si on ne gagne pas les duels, on ne prendra pas de point, ça c’est sûr. Après ça, une fois que l’on se dit que c’est un élément que l’on contrôle et que l’on est capable de faire, qu’est-ce que l’on peut mettre en place pour rendre le jeu intéressant, qui correspond à notre profil ? Être intéressant offensivement mais ça ne veut pas dire prendre le ballon et se faire cinquante passes. C’est essayer de faire mal à l’adversaire à chaque fois que l’on a le ballon dans les pieds, mais on ne va pas faire une vingtaine de frappes par match. Il faut rester dans le cadre de notre réalité, de nos capacités. Il faut que l’on atteigne le niveau optimal de ce que l’on est capable de faire. Maintenant on doit déterminer jusqu’où va ce potentiel.
Avez-vous fixé un objectif comptable sur le mois d’août ?
Absolument pas. On n’a pas d’objectif comptable à part sur le prochain match. Il faut essayer de faire au mieux, produire le plus possible, essayer d’être en phase avec nos qualités et finalement, être constamment en train d’aller chercher notre limite supérieure et tenter d’accomplir le meilleur match que l’on puisse accomplir. C’est ça l’objectif au jour le jour. Les points suivent toujours ce que tu arrives à produire. Sur le moyen terme, tu es toujours à la place où tu dois être par rapport à ce que tu produis. Il n’y a donc pas de décompte de mon côté, ce n’est pas du tout le style de réflexion que j’ai amené. Par contre il y a une vraie volonté de bien démarrer le championnat, dans le bon rythme, dans une envie d’être compétitif, dans un enthousiasme important.
Tous propos recueillis par Romain PECHON avec Adrien ROCHER
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Un commentaire
Belle interview !! Questions pertinentes je trouve ! Et réponses intéressantes ! Pas de langue de bois j’ai l’impression !! Il y a de l’intelligence dans ces propos, c’est vraiment plaisant !